Voir les reportages vidéo Photos de l'article Imprimer l'article Accueil Fermer cette fenêtre Voir les reportages vidéo Imprimer l'article Accueil

LE FRELON ASIATIQUE
LE MIEUX CONNAÎTRE POUR MIEUX LE MAÎTRISER

Bernadette Darchen, biologiste, c’est-à-dire comme elle se définit elle-même, écologiste de métier, vient de consacrer ses talents d’entomologiste à l’étude du frelon asiatique. Apparue en France, à Bordeaux, en 2005, sous forme d’une seule femelle fécondée, l’espèce est aujourd’hui en passe d’envahir toute l’Europe. La biologiste, présidente de l’association Apidor, est bien sûr attachée à la protection des abeilles dont on sait combien ces nouveaux frelons sont friands. Toutefois à l’issue d’une étude méthodique du mode de vie de ce frelon marron et orangé, elle ne peut s’empêcher de s’émerveiller de la structure de ses nids aux allures de palais orientaux : « le frelon asiatique est arrivé sans papier, mais pas sans carton ! » sourit-elle face à la confection de nids édifiés à grands renforts de couches concentriques de pâte de bois formant au final, en effet, une sorte de carton. Elle vient de réaliser un DVD de 15 minutes où elle livre les conclusions de son étude. Elle nous en a confié le montage et le tournage des séquences vidéo et nous autorise à publier ici son commentaire dans son intégralité, ainsi qu’une partie des photos prises par Jean-Claude Roujon, Robert Besse, Jean-Jacques Négrier, Jean-Marie Armand et Vincent Lesbros pour illustrer son propos.



DANS L'INTIMITÉ DU FRELON ASIATIQUE
VESPA VELUTINA

Le frelon asiatique, Vespa velutina est arrivé en France depuis environ l'année 2005. Passager clandestin, débarqué à Bordeaux il est originaire de Chine, et plus précisément du Yunnan d'après l'estimation du Muséum National d'Histoire Naturelle. Dans notre pays le climat lui convient. En 2006 on signalait l'espèce en Dordogne. En 2008 son extension avait largement progressé. Mais pour l'heure l'Aquitaine est la région la mieux colonisée. Vespa velutina est un gros insecte marron foncé marqué de taches oranges sur la tête et l'abdomen. Les ailes sont brunes. Sa couleur sombre le fait paraître plus gros qu'il n'est. Le frelon européen Vespa crabro, connu de tous, jaune et noir est en fait plus gros que lui. Vespa velutina niche surtout à l'extérieur. Ses gros nids se voient pendus un peu partout en fin d'été lorsque leur croissance est achevée et que les arbres perdent leurs feuilles.

Le nid a débuté au printemps par une toute petite construction, travail de la reine fondatrice. Très vite il comprend un petit gâteau d'une dizaine de cellules accroché au substrat par un pédoncule. En même temps que la reine élabore de nouvelles cellules elle les recouvre d'une enveloppe protectrice, l'involucre, comprenant plusieurs épaisseurs concentriques. Trois couches de fin papier enveloppent le gâteau. Une nouvelle couche est commencée avant que la précédente ne soit achevée. Le comportement constructeur se révèle déjà. Il passe par des alternances programmées : construction de pilier, d'alvéoles et d'involucre. L'insecte ne peut les interchanger, sa seule initiative consistant à construire ce que son programme intérieur lui impose. Les œufs sont pondus au fur et à mesure de l'avancée de la construction des cellules. Les larves auront donc des âges différents. Ainsi à la fondatrice seule revient à la fois la construction du premier nid, la ponte des œufs et le nourrissement des larves.

Ce nid primaire une fois clos, l'ouverture est toujours située vers le bas, au centre de l'involucre. Plus tard cette ouverture sera encore située vers le bas mais cette fois toujours déportée par coté. Les entrées et sorties des frelons n'ont lieu que par cette ouverture unique. L'ouverture du nid de Vespa velutina reste toujours petite ce qui la différencie de Vespa crabro dont l'ouverture du nid est large et toujours située en bas. Le matériau de construction du nid provient de jeune écorce ou de bois facile à déchiqueter. Les fragments sont mâchés, imbibés d'eau et sans doute aussi de salive – pétris à l'aide des mandibules, les boulettes de pâte sont alors étalées en fines couches que l'on peut identifier par leurs couleurs. Le frelon a besoin de beaucoup d'eau pour pétrir son carton et élever les larves. Aussi s'installe-t-il non loin des cours d'eau mais aussi des fontaines et autres bassins.

L'abeille construit un nid avec de la cire qu'elle sécrète et dans les gâteaux de cire elle élève ses larves mais aussi amasse des provisions. Vespa velutina, comme toute les guêpes ne sécrète jamais de cire. Son nid est exclusivement fait à partir de pâte végétale. Les nids primaires étant extrêmement fragiles, les fondatrices choisissent un endroit bien abrité pour les établir. Mais non rarement les emplacements choisis ne permettent pas un grand développement ultérieur. Aussi lorsque la première couvée est née la jeune colonie n'hésite pas à déménager pour s'établir ailleurs, délaissant progressivement le nid mère. Ce comportement est très favorable à la réussite de l'espèce.

Les abeilles sont des insectes strictement végétariens se nourrissant de nectars pour les sucres et de pollen pour les protéines alors que les guêpes recherchent les protéines dans la chair des animaux – celle des insectes en particulier. Les frelon sont friands d'abeilles, c'est pourquoi les apiculteur le redoutent.

Au fur et à mesure que la population s'accroît le nid augmente en taille. En fin d'été il arrive à être très gros. Ceci impose de gros travaux permanents. La phase comportementale "élaboration de piliers" Existe toujours. Elle se traduit au sommet du nid par la consolidation de son amarrage sur la branche de soutien. De nombreuses couches de pâte de bois sont pressées les unes contre les autres. Ce travail sur le haut du nid n'est jamais achevé, alternant avec les autres comportements constructeurs. Suivant la phase du cycle de construction la texture de la pâte de bois varie quelque peu. Fines lamelles superposées, concentriques de papier plutôt lisse pour l'involucre. Fines lamelles aussi pour les cellules, mais légèrement plus granuleuses. Ceci se voit en particulier lorsqu'on regarde la cellule par dessous. Quant aux divers piliers soutenant les gâteaux, c'est sur eux que repose la solidité de l'édifice. Leur carton est dur, compact, sans commune mesure avec les autres parties de la construction. Les phases des cycles de construction concernent donc à la fois le type de construction mais aussi la préparation du matériau. Dans les gâteaux les plus hauts, c'est à dire les plus anciens, les alvéoles qui ont servi à l'élevage de 2 cycles de larves, sont alors bouchés de pâte compacte participant, là encore, à la solidité de la construction – c'est un dérivé de la phase "construction de piliers".

La construction des gâteaux est une tâche très importante. Tout nouveau gâteau débute lorsque le précédent a acquis sa taille optimum pour celle du nid. Tout comme lors de la construction du nid primaire elle débute par un simple pilier au centre du gâteau précédent. Puis des cellules sont construites dessus où des œufs seront bientôt pondus. Le gâteau s'agrandit par les bords, les larves seront de plus en plus jeunes à mesure que l'on va vers la périphérie. Ceci est très comparable à l'évolution du nid primaire mais en beaucoup plus grand. Les larves du centre sont déjà operculées alors que celles du bord sont tout juste naissantes. Ce type de construction circulaire entraîne un léger déplacement de l'axe des cellules qui se trouve normalement en oblique par rapport à la verticale des cellules du centre.

À l'inverse des abeilles qui emmagasinent miel et pollen dans certains gâteaux, les guêpes ne font pas de provisions. Les alvéoles servent uniquement à contenir des larves. Mâles et femelles naissent côte à côte dans des cellules indifférenciées. Mais la taille des cellules est quelque peu variable ce qui permet à certaines larves de disposer d'un peu plus de place et donc de grossir davantage. La taille des adultes est fonction de celle de la larve en fin de croissance. Un frelon petit est adulte – il ne grandira jamais.

Certaines opercules de soie présentent occasionnellement une perforation en leur milieu. L'insecte qui est dessous n'est jamais une larve mobile, mais toujours une nymphe totalement inerte et donc incapable de provoquer cette perforation. Force est de conclure que ce sont les adultes qui la pratiquent à l'extérieur. La signification est inconnue. On trouve des perforations parfois en grande quantité sur des nids âgés, mais aussi sur des nids jeunes.

Les œufs pondus dans les alvéoles sont toujours collés contre la paroi interne de la cellule, jamais au fond comme chez l'abeille. Cela évite d'être posé sur un excrément. Un apiculteur a observé 3 œufs dans une même cellule. Deux seront éliminés, mais ceci indique que plusieurs femelles participent à la ponte.

Passant leur vie la tête en bas, les larves sont solidement accrochées à la paroi de leur cellule. Elles ne risquent pas de tomber. Ce n'est qu'a la fin de la vie larvaire que l'intestin s'ouvre livrant passage à un gros excrément noir au fond de la cellule. C'est le seul de toute la vie larvaire. On peut le voir en grattant par dessous le fond des cellules. À ce moment, les glandes salivaires produisent de la soie avec laquelle la larve file son cocon, bien utile car dès ce moment la larve n'est plus attachée par le fond. La grosse larve doit se contorsionner longuement pour bien tapisser sa cellule de la soie du cocon qui au dessus de la tête forme un dôme protecteur.

Sous le cocon la larve mue encore une fois et se transforme en nymphe. Sa taille définitive est acquise. Elle se colorera progressivement en quelques jours avant d'éclore en adulte parfait.

Au cours de la belle saison le nid croit en population et en taille. Les couvées se succèdent en couches concentriques. Les gâteaux successifs commençant toujours par le centre, généralement c'est là que se trouvent les plus vieilles larves, les premières à éclore. Les autres viendront ensuite. Une autre couvée pourra être préparée dans la place laissée libre. Cette fois les larves du centre, de seconde génération, seront plus jeunes que celles du pourtour, de première génération.

Les excréments des larves n'étant jamais évacués du fond des cellules, il suffit de les dénombrer pour savoir combien de couvées peuvent se succéder dans une même cellule. Jamais plus de 2, en fait. Ensuite les alvéoles inoccupés seront colmatés de carton.

Lorsqu'un nid est devenu assez gros un certain nombre de femelles le quittent, fécondées elles vont en construire un autre un peu plus loin, c'est une forme d'essaimage. Les relations perdurent plus ou moins longtemps entre les deux nids. Lors de l'évolution d'un nid primaire, les premiers adultes qui éclosent sont de petite taille. Les conditions de vie s'améliorant, les adultes produits sont plus gros. Il existera bientôt toute une gamme de tailles tant en ce qui concerne les mâles que les femelles.

Les mâles se distinguent des femelles par quelques caractères :
- leur antennes sont plus longues que celles des femelles
- le bout de leur abdomen est arrondi – les mâles n'ont jamais d'aiguillon. Ils ne piquent pas. Ventralement deux petites taches jaunes sont visibles au bout de l'abdomen sur deux petites pièces articulées, les cerques servant à maintenir la femelle lors de l'accouplement. En revanche l'extrémité de l'abdomen de la femelle est conique et l'aiguillon bien visible.

Entre les femelles il n'y a aucune différence perceptible contrairement au cas de l'abeille où l'on ne peut confondre reine et ouvrière. La dissection ne donne pas non plus d'explication. Chez la reine d'abeille les ovaires sont énormes ainsi que la spermathèque comparée à l'ouvrière. La spermathèque est la poche où le sperme se met en réserve lors de l'accouplement pour la fécondation des œufs plus tard. Accrochée à la spermathèque une glande a pour rôle de nourrir les spermatozoïdes et les garder vivants.

Chez Vespa velutina l'appareil génital est basé sur le même principe mais chaque ovaire est réduit à 8 unités maximum productrices d'œufs alors que chez l'abeille il y en a jusqu'à 130. La spermathèque et sa glande existent mais elles sont minuscules. Et surtout quelle que soit leur taille, il n'y a pas de différences dans l'appareil génital d'une femelle à l'autre. Toutes sont équipées de la même façon.

On est en droit de se poser la question : qui est reine et qui est ouvrière ? Surtout parmi les plus gros individus. En fin d'automne, lors des premiers froids les nids se vident de leurs occupants. Ils ne seront jamais réoccupés.

Les mâles ne survivront pas à l'hiver. Au printemps suivant les femelles sortent de leur cachette, en quête d'un endroit pour établir un nouveau nid. Ce sont les fondatrices, elles sont de tailles variées. On peut estimer que ce sont là des reines fondatrices. Mais à la dissection on constate que nombre de ces femelles sortant d'hibernation ne sont pas fécondées – et ceci indépendamment de leur taille.

Il a suffi à une seule femelle fécondée de Vespa velutina, introduite accidentellement en Aquitaine pour coloniser en très peu de temps toute la région et même au delà. Ici en Europe les régulateurs naturels de l'espèce sont absents. Cependant quelques observations permettent de penser notre frelon Vespa crabro est capable d'éliminer les jeunes fondatrices de Vespa velutina... mais il ne peut tout faire !

Les hommes doivent aussi contribuer à réduire la prolifération de cet envahisseur en piégeant les fondatrices et en détruisant les nids actifs. Malgré cela, le biologiste ne peut s'empêcher d'admirer la réussite de cette espèce coriace et magnifique, arrivée à l'improviste, partie de rien et maintenant en passe de conquérir l'Europe.

Bernadette Darchen


Vous pouvez commander directement le DVD « Dans l’intimité du frelon asiatique, Vespa Velutina » auprès de Madame Bernadette Darchen en la contactant au : 05 53 31 61 90.
Copyright (c) Ferrassie-TV 2009 - 5 septembre 2009 Photos | Sommaire